"J'ai fini tard hier soir…"
Ceux qui ont travaillé avec moi depuis que je suis lead le savent : je râle pas mal contre le fait de travailler le soir, le week-end, pendant les congés, etc. Je sais que ça va souvent de pair avec le fait d'être junior et/ou avec les syndromes de l'imposture et/ou de manquer de confiance en soi, mais je pense que parfois avoir de l'expérience c'est aussi poser un certain cadre pour que tout le monde travaille dans des bonnes conditions. Je vous explique ça !
Avertissement : cet article s'adresse plutôt aux employés, moins aux indépendants / entrepreneurs, encore que, certains trucs s'appliquent aussi. Cet article s'applique aussi beaucoup facilement aux travaux qui sont peu rapport au temps comme c'est le cas du développement, mais pas seulement !
Parlons argent🔗
Partons d'un basico-basique : vous avez signé un contrat qui défini que vous allez échanger 35 à 39 heures (en fonction de votre contrat) de votre temps chaque semaine contre un salaire. Que se passe-t-il si vous travaillez 1h de plus ? 2h de plus ? 4h de plus ? soyons fou 6h de plus ? chaque semaine… Hé bien vous travaillez gratuitement.
Évidemment je sais que c'est plus compliqué que ça :
- si comme moi vous avez un contrat en forfait jour annuel vous n'avez pas vraiment d'horaire ;
- si vous avez une entreprise qui demande un pointage pour vous offrir du temps de récupération ou un paiement d'heure supplémentaire ça ne marche pas ;
- etc.
Mais dans la majorité des cas il y a un plafond : quand bien même je suis en forfait jour, j'ai un nombre d'heure qui facturé sur mon ordre de mission en théorie. Pareil pour les heures supplémentaires ou le temps de récupération : il y a assez vite un plafond au-delà duquel ce n'est plus compté.
Ça peut être tentant de donner plus à son travail pour mieux progresser dans l'entreprise, s'assurer d'une certaine réussite de l'entreprise pouvant découler à des primes, etc. Mais êtes-vous sûr que ça arrivera ? Êtes-vous sûr que ça va revenir dans votre sens au bout du compte ? Êtes-vous certain de rester assez longtemps dans l'entreprise pour que votre investissement de temps vous revienne ? Pour moi non.
Vous avez besoin de souffler🔗
Comme pas mal de développeur de ma génération et des générations d'avant : j'ai commencé ma carrière en voulant coder, coder, coder, en trouvant que je codais jamais assez vite / bien, en voulant toujours aller plus loin. Donc c'est parfois tentant de rester un peu plus, puis un peu plus, puis un peu plus, surtout quand personne n'attend à la maison. Mais on s'oublie nous. On oublie qu'on a besoin de couper. On a besoin de quitter sa chaise pour que notre cerveau continue de fonctionner.
Ce que j'essaie de vous dire c'est que ne jamais lâcher c'est vous interdire de vous reposer. Donc vous allez vous fatiguer. Et vous aller travailler moins efficacement, faire plus d'erreurs, perdre du temps, etc. Et au final ? Travailler encore plus pour compenser, donc être encore plus fatigué, donc travailler encore moins efficacement, faire encore plus d'erreurs, perdre encore plus de temps, etc.
Vous sentez venir le cycle extrêmement vicieux qui se dessine ?
C'est facile de rentrer dans ce cercle vicieux. C'est plus difficile de voir qu'on est dedans. C'est encore plus difficile d'en sortir quand c'est devenu notre rythme de vie.
Ceux qui bossent avec moi en ce moment le savent : je fais attention à ça et je fais des rappels à l'ordre à ceux qui bossent trop, car si c'est difficile de le voir par soi-même, se prendre un taquet par quelqu'un qui nous mentor est souvent assez impactant pour que ça fonctionne bien je trouve ! 😈
Il y a quand même un cas difficile : le workaholisme.
La personne touchée par la dépendance au travail ou ergomanie — mieux connu sous l'anglicisme workaholisme — se caractérise principalement par un effort de travail compulsif supérieur à la moyenne, une recherche excessive et dysfonctionnelle de la perfection et une pulsion à persévérer dans l’excès de travail, ce qui conduit progressivement à une réelle dépendance. -- Wikipédia
Ici on est plus face à une "erreur" sur le rythme de travail : on est sur un cas qui est pathologique, vous ne pouvez pas aider ces personnes, vous ne pouvez qu'essayer de les pousser à se faire accompagner ou quitter le travail (au sens "rompre le contrat de travail"). En tout cas je n'ai pas de solution ici…
Par contre peu importe le cas dans lequel on est, il y aura toujours des gens pas forcément très bien intentionnés pour vous exploiter et tirer parti du fait que vous travaillez trop.
"Mais moi j'adore coder ! 😢"🔗
Et c'est idéal d'être développeur en aimant coder je pense ! Et je ne vous dis pas de ne pas coder pour le plaisir hors des heures de travail si ça vous éclate ! Mais pas sur les projets du boulot.
J'ai toujours codé hors du travail, j'en ai déjà parlé, mais j'ai même commencé à coder 3 ans avant de commencer des études en informatiques, je passe en moyenne 2 à 3h par semaine (parfois plus) sur le présent blog, à ça s'ajoute jusqu'à 4h de code sur des projets persos quand j'en ai envie et le temps. Pour moi coder c'est une passion, je code par plaisir, je teste des trucs quand j'ai des idées, j'ai souvent un projet "doudou".
Si vous ne connaissez pas l'idée du projet "doudou" c'est un projet qui permet de se détendre et se faire plaisir, on se met peu / pas de pression, l'idée c'est juste coder un truc dans un autre contexte que le travail.
Jamais je ne vous dirais que vous n'avez pas le droit de coder hors du boulot. Je serais très mal placé pour ça. Mais si vous travaillez sur les projets du boulot vous ne coupez jamais. Et vous avez besoin de couper. Vous avez besoin de changer d'air.
Et j'ajouterai que si vous coder sur des projets perso, vous allez apprendre beaucoup plus qu'en travaillant sur les projets du boulot : vous n'avez pas le cadre et les contraintes, il faut ré-inventer certains trucs, vous pouvez explorer d'autres idées, vous pouvez tester des outils que vous n'aurez pas l'occasion de voir au travail, c'est hyper enrichissant. Et vous allez devenir meilleur·e plus vite, et donc ça va aider votre projet boulot.
"Mais lui/elle il/elle arrive à faire ça dans sa semaine !"🔗
Ponctuellement en cas de gros coup dure je veux bien finir plus tard, bosser un peu le midi, éviter de trop poser de jours de congés (sauf si j'ai besoin) mais pas les week-ends par exemple : comme tout le monde, j'ai MA vie et je n'en ai qu'une, si au travail c'est tellement mal géré que ça retombe sur nous ce n'est pas mon erreur, ce n'est pas à moi de le subir. Et c'est pareil pour vous. N'acceptez pas tout et n'importe quoi pour votre travail : votre travail n'est qu'une passe dans votre vie, rien de plus.
Par contre si bosser plus devient une norme, vous créez une fausse impression qu'on peut faire en 35h ce que vous faite en réalité en 40-45h. Même pire : vous donnez l'impression que vous pouvez produire en 35h ce que vous faites en réalité en 40-45h. Donc vous vous piégez à long terme. Vous allez vous épuiser, vous allez vous forcer à prendre un rythme que vous n'êtes pas capable de tenir à long terme, et vous allez craquer.
Imposer cette norme sur votre personne va avoir une autre conséquence : l'imposer au reste de votre équipe. Il y a toujours comparaison entre les différentes personnes d'une équipe. Si une personne bosse 5 à 10h de plus (donc 1j de plus environ) chaque semaine, les autres membres de l'équipe sembleront travailler moins que vous, et il va y avoir une pression implicite qui va se mettre en place sur les autres qui vont tout doucement devoir prendre votre rythme ou partir.
En d'autres termes : à vous épuiser à bosser plus vous donnez l'impression que les autres ne travaillaient pas efficacement (voir pas du tout), alors que c'est faux. Vous allez entraîner les autres dans un cercle vicieux.
Et ne vous dites pas que c'est le fait d'être junior qui fait que vous devez travailler plus pour atteindre le niveau de telle personne qui vous semble hyper forte : si vous êtes junior, vous avez beaucoup à apprendre (qu'on soit clair : c'est normal !), donc votre cerveau est mobilisé très fortement pour digérer tous les nouveaux trucs que vous voyez ; si vous bossez trop, votre cerveau ne sera juste pas capable du tout d'assimiler et vous aurez du mal à apprendre.
Et si on travaillait moins ?🔗
Travailler 35h n'a pas rendu la France moins productive que quand on travaillait à 39h (ou plus d'ailleurs). Surtout aussi parce qu'en réalité beaucoup de gens ne sont pas à 35h mais 37-39h (comme l'époque des 39h impliquait qu'en réalité pas mal de gens était à plus de 40h semaine). Mais aussi parce qu'en réalité : travailler moins c'est aussi travailler mieux et plus efficacement dans pas mal de cas.
Je sais que certains emplois sont très liés à du temps : un agent de sécurité est payé au temps, et s'il travaille moins il surveille moins longtemps, mais il surveille potentiellement plus attentivement aussi ; un ouvrier qui travaille à la chaîne produira moins s'il travaille moins longtemps, mais il fera peut-être moins d'erreur et/ou provoquera moins d'accident ; etc.
Dans l'informatique, il y a peu de gens qui ont un travail lié au temps : si je travaille 28h sur 4j, je ne vais pas produire sensiblement moins qu'en 35h sur 5j. Par contre je vais plus me reposer, commencer la semaine plus en forme (après 3j de week-end), encaisse mieux certains éléments de stress, me poser plus sur mon travail, faire moins d'erreur, etc. C'est saint de travailler moins.
On peut aussi citer la Loi de Parkinson :
Work expands so as to fill the time available for its completion. General recognition of this fact is shown in the proverbial phrase: It is the busiest man who has time to spare » traduisible par « Le travail s’étend de manière à remplir le temps disponible pour son achèvement. La connaissance générale de ce fait est illustrée par la phrase proverbiale suivante : « C'est l'homme le plus occupé qui a du temps à perdre » -- citation de Cyril Northcote Parkinson (en 1955) sur Wikipédia
L'idée n'est pas nouvelle, pourtant elle met du temps à faire son chemin. Quelques entreprises / pays expérimentent de plus en plus la semaine de 4j (y compris en France en 28h/4j ou 32h/4j) et ça fonctionne très bien !
Et sinon…🔗
"Les seuls qui se souviendront que vous avez fini tard seront vos enfants"
Je ne sais pas qui a prononcé cette phrase mais ça me semble assez frappant : peu importe que vous ayez des enfants ou pas, c'est vos proches les seuls qui se rappelleront que vous avez passé votre vie au travail plutôt qu'avec eux, ou plutôt, ce sont eux qui ne se rappelleront pas de vous, car vous étiez absent !
"17h00 et tu pars ? T'as pris ton après-midi ?"
Le genre de "blague" qu'on est beaucoup à avoir entendu… Pareil pour les open space qui se vidaient quand le(s) manager(s) partait(ent)… Ce n'est pas parce que vous partez le dernier que vous êtes le meilleur employé, ce n'est pas parce que vous êtes dans un milieu toxique (parce que oui c'est toxique de fonctionner comme ça) que vous devez suivre les "règles" et subir en silence les années : imposez le respect de votre droit à déconnecter (la Loi est de votre côté) ou juste partez pour un contexte plus saint !
"Vous avez fait une livraison pizza ?"
Je sais que certains sont plutôt en mode sushi ou burger mais peu importe : je pointe les livraisons de fin de journée qui s'éternise sur la soirée, parfois très tard qui finissent par se faire en mangeant à l'arrache, qui sont épuisantes, qui n'aboutissent qu'à des erreurs monumentales, qui détruise votre confiance, qui pourrissent certaines équipes… (Vous sentez que je l'ai vécu en début de carrière ? Imaginez ça avec le chef de projet qui regarde au-dessus de l'épaule et une alarme de sécurité pas désactivée qui sonne pendant 3h consécutives, moi qui cours pour choper le dernier bus ou faire 2h15 de marche à minuit passé et vous avez l'idée de ma dernière "livraison pizza") Ce n'est pas acceptable…
Conclusion🔗
Pas un article fun, pas un article technique, mais un article important. Si le sujet vous intéresse, je vous recommande le livre L'open space m'a tuer qui va beaucoup plus loin.
Dans tous les cas : je ne cherche pas à vous blâmer, vous pointer du doigt, vous faire vous sentir mal si vous vivez cette situation. Je pense que c'est important de prendre conscience du problème, de prendre conscience que ce n'est pas bon ni pour vous ni pour le projet de sur-travailler.
C'est un peu connexe mais aussi : prenez des pauses ! Je suis clairement un mauvais élève à ce sujet : je prends peu de pause, mais j'en prends quand j'ai besoin ! Et je ne parle pas juste d'aller prendre à boire ou aux toilettes, parfois je sens que je sature, donc je coupe, je lis un article de ma veille, je vais regarder mon téléphone 5min, je me lève pour marcher un peu, ou je change juste complètement de sujet : ça donne une bouffer d'air au cerveau, ça élimine la saturation, ça permet de reprendre efficacement. Mieux vaut couper 5-10min et reprendre à 100%, que faire 3h à 50% parce que vous saturez complètement.
Source :
- Loi de Parkinson
- Workaholisme
- L'open space m'a tuer d'Alexandre des Isnards
Crédit photo : Générée via Mistral AI avec le prompt suivant :
A detailed illustration in the style of Studio Ghibli: A red panda (inspired by the Firefox mascot) is trapped inside a giant hamster wheel labeled 'heure sup' in bold, orange letters. The red panda is wearing a disheveled business suit, looking extremely exhausted: dark circles under the eyes, a slumped posture, and a worn-out expression. The wheel is surrounded by multiple empty coffee cups (some knocked over), crumpled 'Urgent' sticky notes scattered everywhere, and clocks showing midnight. In the background, an open door reveals a peaceful park with a baby red panda sitting alone outside, looking sad or waiting. The park is bathed in warm, calming colors (soft blues, greens, and sunset oranges), contrasting with the chaotic, warm-toned (reds, oranges) indoor scene. The overall mood highlights the fatigue and stress of overworking, while emphasizing the neglected personal life outside. The art style should be whimsical yet poignant, with expressive characters and rich textures reminiscent of Studio Ghibli’s storytelling. The lighting should enhance the contrast between the stressful indoor environment and the serene outdoor world.